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Le 26 décembre 1830, une lettre de F. Chopin à son ami Jan M., entre désarroi, joie, et humour caustique...
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Au début du mois de décembre, il s'est retrouvé seul à Vienne, son ami Tytus ayant regagné Varsovie à la suite de l'Insurrection du 29 Novembre. Il traverse un moment de désarroi et d'inquiétude pour ses proches.
Colonne de Sigismond III à Varsovie, lithographie d’Auguste Guillaumot d’après Charles de Lalaisse, (Bibliothèque Nationale de Pologne) |
« Mon Jeannot [Janek] bien-aimé,
"Je maudis l’instant de mon départ"
« […] Si ce n’était qu’à présent je serais peut-être un fardeau pour mon père, je rentrerais immédiatement à Varsovie. Je maudis l’instant de mon départ. (…) Tous les concerts, les dîners, les soirées, les danses dont j’ai par dessus la tête m’ennuient. Tout ici, pour moi, est si triste, si sombre et si morne. (…) Je ne puis rien faire de ce que je voudrais: il me faut m’habiller, me friser, me chausser. Dans les salons, je semble calme, mais rentré chez moi je fulmine sur le piano. Sans intimité avec personne, je dois me montrer aimable avec tout le monde. Il y a des gens qui m’aiment, font mon portrait, m’accablent de prévenances et de grâces; mais peu m’importe puisque je me sens inquiet. Je le suis moins seulement quand je sors toutes vos lettres, lorsque j’ouvre la vue du roi Sigis [mond], et que je regarde l’anneau 2. [Il avait apporté de Varsovie un petit carnet relié bleu marine que plusieurs personnes proches avaient signé avant son départ, sur la couverture duquel il avait collé la gravure de la place du Château de Varsovie avec la colonne de Sigismond].
"Une harmonie lugubre s’éleva en moi"
« […] Avant-hier, c’était la veille de Noël, je me suis rendu à minuit, seul, à pas lents, à la cathédrale Saint-Etienne. Lorsque j’y arrivai, il n’y avait encore personne. Non par dévotion, mais pour contempler à cette heure cet immense vaisseau, je restai debout au pied d’un pilier gothique, dans le coin le plus sombre. Impossible de décrire la magnificence et la grandeur de ces voûtes immenses. Le silence régnait. Seuls les pas d’un sacristain allumant les cierges au fond de l’église rompaient parfois ma léthargie. Derrière moi un tombeau, sous mes pieds un tombeau, il n’en manquait un qu’au dessus de ma tête. Une harmonie lugubre s’éleva en moi. Plus que jamais je ressentis ma solitude.
"Tout cela est si froid que j’en ai presque le nez gelé"
« […] Mademoiselle Heinefetter [cantatrice] est presque entièrement dépourvue de sentiment. Une voix comme il ne m’arrivera pas d’en entendre une pareille de sitôt - tout est bien chanté, chaque note tenue exactement, pureté, souplesse, mais tout cela est si froid que j’en ai presque le nez gelé quand je suis assis au premier rang.
"Irai-je à Paris ?"
« […] Tu sais que j'ai des lettres de la cour de Saxe pour la vice-reine de Milan. Mais où dois-je me rendre? Mes parents me laissent le libre choix pour la continuation de mon voyage - mais je n'aime pas cela. Irai-je à Paris ? Ici l'on me conseille de ne pas y aller encore [en raison des troubles croissants qui y avaient éclaté] Dois-je rentrer, rester ici, me tuer ou ne plus t'écrire ? Donne-moi un conseil. Demande leur avis à ceux qui me gouvernent et écris-le moi. Il en sera fait comme ils voudront. Je passerai encore le mois prochain ici.
"C'est avec la pédale et non avec la main qu'il joue piano"
« […] Bien que Thalberg joue fameusement, ce n'est pas mon homme. Il est plus jeune que moi, plaît beaucoup aux dames et fait des pots pourris de la Muette [de Portici d'Auber]. C'est avec la pédale et non avec la main qu'il joue piano; il prend dix notes comme moi une octave et porte des boutons de chemise en brillants. Moscheles ne l'étonne pas et il va de soi que seuls les tutti de mon concerto lui plaisent. […]
Ch. »
1. Bronisław Edward Sydow: Correspondance de Frédéric Chopin, tome I (Korespondencja Fryderyka Chopina)
2. Pour le biographe Tadeusz A. Zieliński, l'anneau est un cadeau de sa soeur (l'anneau de cheveux fait par Ludwika- lettre à Jan Matuszyński du 24 novembre 1830). Mais pour Ferdynand Hoesick (1867-1941, auteur de Chopin: sa vie et son œuvre), ce bijou lui venait de Konstancja, et le prénom de Ludwika n'était qu'un camouflage pour le cas où la lettre tomberait entre des mains indiscrètes. Tadeusz A. Zieliński: Frédéric Chopin (page 801)
📚 Sources: Références bibliographiques
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Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signe diacritique: Jan Matuszynski
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