Publié le :  janvier 20, 2024,  par

Humour féroce à Berlin (📖17)

Dernière mise à jour: 14 avril 2025



     Le désir de Frédéric Chopin de s'évader de l'étroitesse de l'horizon de Varsovie, de découvrir la vie musicale internationale, et d'établir des liens avec des artistes éminents devient de plus en plus impérieux. Bien que sa santé reste fragile, ses parents comprennent qu'ils ne pourront pas protéger leur fils dans un cocon toute sa vie. Ils décident de l'envoyer d'abord à Berlin, puis à Vienne, pour évaluer sa capacité à supporter les contraintes du voyage, et déterminer si un départ pour Paris, essentiel à sa carrière, est envisageable. 

En septembre 1828, un savant allemand réputé, Alexander von Humboldt, organise un congrès de naturalistes à Berlin, la capitale de la Prusse. Feliks Jarocki, professeur à l’université de Varsovie, et l’un des plus proches amis de Nicolas, est invité à ce congrès. Il accepte volontiers d’emmener Frédéric à Berlin.

Après cinq jours de  diligence, F. Chopin et F. Jarocki arrivent à Berlin. Frédéric, non sans humour, résume l'inconfort de cette traversée: 

« Les diligences prussiennes sont montées sur barres et l’on s’y sent broyés comme grains de poivre dans le moulin.»



"Les Berlinoises s’habillent, il est vrai, et c’est grand dommage de froisser d’admirables mousselines"


Afin d’égayer l’ennui des réceptions et des dîners entre savants, Frédéric dessine des caricatures dans son carnet de voyage, croquant avec humour les attitudes des participants. A un dîner il se retrouve assis à côté «...d’un professeur de botanique de Hambourg, un certain Monsieur Lehmann. Je lui envie ses gros doigts. Alors qu’il me faut les deux mains pour rompre le pain, une seule lui suffit pour en faire une galette 2»

Il n’épargne pas non plus les Berlinoises de son humour acéré: 

 « Elles s’habillent, il est vrai, et c’est grand dommage de froisser d’admirables mousselines pour pareilles poupées de chiffon 3.»



"L’Oratorio Ode à Sainte Cécile de Haendel se rapproche plus de l’idéal que je me suis fait de la grande musique"


Ayant réussi à se libérer des obligations mondaines, il prend plaisir à assister à des spectacles à l’Opéra et à des concerts à la célèbre Académie de chant. 
C’est lors de l’écoute, à l'Académie de chant, de l'Ode à la fête de Sainte Cécile de Haendel, compositeur pour lequel il a une grande admiration 4, qu’il ressent la plus intense émotion artistique:

 « J'ai entendu avec plaisir trois opéras (...). Toutefois l’Oratorio Cäcilienfest de Händel se rapproche davantage de l’idéal que je me suis fait de la grande musique. 5» 
 
Sainte Cécile, Nicolas Poussin
Sainte Cécile, Nicolas Poussin, Musée du Prado, Madrid (wikipedia.org)
La Sing-Akademie (Académie de chant) à Berlin, gravure
La Sing-Akademie (Académie de chant) à Berlin, gravure de E.H. Schroeder d’après Ludwig Eduard Lütke (vers 1850, abebooks.fr)



"Ce ne sera qu’à Paris sans doute, qu’il n’y aura plus de mais"


Néanmoins, il émet quelques réserves. 

« Parmi les cantatrices les plus renommées, la plupart ont des défauts, sauf Mlle Tibaldi […]. Cependant là aussi, tout ne va pas sans mais, ce ne sera qu’à Paris sans doute, qu’il n’y aura plus de mais6 »

Il explore également la ville qui lui paraît démesurée, et visite deux fabriques de pianos ainsi que la boutique de l’éditeur Adolph-Martin Schlesinger (père de Maurice Schlesinger, fondateur en 1821 d'une maison d'édition musicale à Paris 7 ).

Gravure de l’Opéra de Berlin par Joseph Mondhare

Gravure de l’Opéra de Berlin par Joseph Mondhare (1734-1799)


"Tout ce qui était assis buvait et brinquebalait en mesure avec la musique"

A son grand regret, il ne parvient pas à rencontrer les musiciens berlinois. Sa timidité l’empêche même d’approcher Felix Mendelssohn, d’un an son aîné, mais déjà bien plus célèbre.

Frédéric et F. Jarocki quittent Berlin le 28 septembre, au lendemain d’un banquet copieusement arrosé à l’allemande, que l'espiègle Frédéric commente malicieusement: 
« Qui vivait chantait. Tout ce qui était assis buvait et brinquebalait en mesure avec la musique. 8 »
Portrait de F. Chopin à dix-huit ans
Portrait de F. Chopin à dix-huit ans, lithographie de Josef Kriehuber, d'après une miniature de Moritz Daffinger réalisée à Vienne. (📸 fryderykchopin.weebly.com)

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 G.F. Haendel: Ode for Saint Cecilia's Day, HWV 76 - 4. Aria: What Passion cannot Music Raise and Quell, 

Teresa Stich-Randall, London Chamber Orchestra (1959)

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📖 Livret 10 : 

What passion cannot music raise and quell!
When Jubal struck the chorded shell,
His list'ning brеthren stood around,
And wond'ring, on their faces fеll
To worship that celestial sound.
Less than a god they thought there could not dwell
Within the hollow of that shell,
That spoke so sweetly and so well.
What passion cannot music raise and quell!

Quelle passion la musique ne peut-elle élever et apaiser !
Lorsque Jubal frappa le corps de la lyre,
Ses frères attentifs se rassemblèrent autour,
Et, émerveillés, tombèrent face contre terre
Pour adorer ce son céleste.
Ils pensèrent qu’aucun être moins qu’un dieu
Ne pouvait habiter le creux de cet instrument,
Qui parlait avec tant de douceur et d’éloquence.
Quelle passion la musique ne peut-elle élever et apaiser ! 
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Parcours de F. Chopin à l'été 1828: Sanniki, puis Berlin

Parcours de F. Chopin à l'été 1828: Sanniki, puis Berlin (repères bleus) google.com/maps: La Pologne et la chronologie des voyages de F. Chopin  



1.2.3.4.  Lettre du 16 septembre 1828 à sa famille, Bronisław Edward Sydow, Correspondance de Frédéric Chopin, tome I (Korespondencja Fryderyka Chopina), p. 87. Sydow emploie l'expression "poupées en peau de daim" pour traduire le terme polonais „lalki irszane”.
5.6. Lettre du 20 septembre 1828 à sa famille, Bronisław Edward SydowCorrespondance de Frédéric Chopin, tome I 
7. Wikipedia: Maurice Schlesinger
8. Lettre du 27 septembre 1828 à sa famille, Bronisław Edward Sydow, Correspondance de Frédéric Chopin, tome I 
9. Piotr Witt: Chopin à Paris, une affaire non classée (préface de Rafał Blechacz), page 22
10. opera.stanford.edu: Livret de l'aria "What passion..."

📚 Sources: Bibliographie

➡️  Découvrez l'escale de F. Chopin à Poznań entrée dans la légende en cliquant sur l’épisode 18: F. Chopin à Poznań: Rencontre musicale ou légende biographique? (Biographie #18)

 La chronologie des œuvres de Chopin est détaillée dans la page Œuvres complètes


Une partie de cet article est inspirée d'un tweet publié le 22 novembre 2022 : Hanami sur X: 💐 Haendel a créé l'Ode for St. Cecilia's Day

Cet article a inspiré un message publié sur Facebook le 14 avril 2025: Chopin l'Enchanteur: 🌹 Ode for St. Cecilia's Day

Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signe diacritique ni déclinaison : Poznan, Fryderyk, Bronislaw, Handel

 (Biographie #17)  


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