Publié le :  juillet 09, 2025,  par

Du rire aux larmes 📆 40

 

 

   « Quelle soirée nous avons passée, chère mère ! Tu eusses été bien heureuse d’entendre, comme nous, l’admirable talent de Chopin. Il n’a cessé que vers minuit de nous faire passer, à son gré, par toutes les émotions : heureuses ou tristes, gaies ou sérieuses, selon qu’il les éprouvait lui-même.

Éventail des caricatures (détail), Auguste Charpentier
De gauche à droite : caricatures de Liszt, Delacroix, Sand, et au centre, caricaturé en colibri : Chopin. Détail de l’éventail des caricatures, par Auguste Charpentier (📸 Musée de la Vie romantique, Paris)  


« Je n’ai jamais de ma vie entendu un talent comme celui-là ; c’est prodigieux de simplicité, de douceur, de bonté et d’esprit. Il nous a joué une parodie d’un opéra de Bellini, qui nous a fait rire à nous tordre, tant il y avait de finesse d’observation et de spirituelle moquerie du style et des habitudes musicales de Bellini ; puis une prière des Polonais dans la détresse, qui nous arrachait des larmes ; puis une étude sur le bruit du tocsin, qui faisait frissonner ; puis une marche funèbre, si grave, si sombre, si douloureuse, que nos cœurs se gonflaient, que notre poitrine se serrait, et qu’on n’entendait, au milieu de notre silence, que le bruit de quelques soupirs mal contenus par une émotion trop profonde pour être dominée.

Enfin, sortant de cette inspiration douloureuse, il a terminé par un tour de force dont je n’avais nulle idée. Il a imité sur le piano les petites musiques qu’on enferme dans des tabatières, des tableaux, etc. Tout ce perlé, cette finesse, cette rapidité des petites touches d’acier qui fait vibrer un cylindre imperceptible était rendu avec une délicatesse sans pareille. 

Puis, tout à coup, une cadence sans fin, et si faible qu’on l’entendait à peine, se faisait entendre, et était instantanément interrompue par la machine qui probablement avait quelque chose de dérangé. Il nous a joué un de ces airs, la tyrolienne, je crois, dont une note manquait au mécanisme, et toujours cette note accrochait chaque fois qu’elle eût dû être jouée. »


📖 Lettre d’Élisa Fournier (voisine et amie de George Sand), écrite le 9 juillet 1846 depuis Nohant et adressée à sa mère (extraits) (Narodowy Instytut Fryderyka Chopina: 9 July 1846 – Jean-Jacques Eigeldinger: Chopin, âme des salons parisiens, p. 219-221 – Marie-Paule Rambeau: Chopin, l'enchanteur autoritaire, p. 745)


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Rafał Blechacz interprète la Sonate en si bémol mineur, op. 35 : III. Marche Funèbre. Lento
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Cet article est inspiré d’une publication parue sur Facebook (Chopin l'Enchanteur): 🎭 Chopin, le génie de l’imitation – du rire...

Calendrier °40

Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signes diacritiques: Rafal Blechacz, Elisa


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