Publié le :  juillet 05, 2025,  par

Paris 1833: l'envol 📖 77

 

   « … Si vous pouvez venir demain, ce serait bien aimable, je suis encore assez souffrante ; il me semble qu’un de vos nocturnes achèverait de me guérir... » 

Par ces mots, Marie d’Agoult invite Frédéric Chopin à son salon du quai Malaquais, au début de l’année 1833. Marie de Flavigny (1805-1876), épouse du comte d’Agoult et bientôt liée à Franz Liszt par une passion amoureuse, n’en cultive pas moins une séduction subtile envers les deux jeunes pianistes, ravie d’associer à sa maison leurs noms désormais en vue.

Un détail l’irrite pourtant : le nom de Chopin, qu’elle juge un peu vulgaire, évoquant « à la fois le litron de vin du troquet et la bonne affaire cueillie sur le trottoir ». 2  Liszt, soucieux de ménager sa susceptibilité aristocrate, contourne la difficulté en désignant son ami dans leurs correspondances sous les sobriquets de « Zopin » ou « l’Amico ». 3 4

Plus tard dans l’année, depuis sa résidence d'été de Croissy, Marie d’Agoult renouvelle son invitation: 

« J’apprends par Liszt que vous venez d’être fort malade, Monsieur, et je viens vous rappeler que Croissy serait une excellente maison de santé ; si vous vouliez venir y passer quelque temps, vous y seriez au bon air. Je vous promets du lait délicieux et la musique des rossignols, ce qui vous fatiguera moins que le piano. Laissez-moi vous dire  cependant combien j’admire vos Études, elles sont prodigieuses, et depuis longtemps je n’avais rien entendu d’aussi beau. Adieu, Monsieur, à revoir j’espère : croyez à mon véritable intérêt. » 5

La comtesse ne conservera pas toujours cette bienveillance. Plus tard, elle qualifiera Chopin d’«huître saupoudrée de sucre », pour affirmer que chez lui, « il n’y avait que la toux qui fût permanente ». 6

Affiche du festival Chopin au jardin 2025
Affiche du festival Chopin au Jardin 2025 (📸 Institut Polonais de Paris)


L’année 1833 est féconde en publications. Le 8 juin, l’éditeur Schlesinger publie le Concerto en mi mineur, que Chopin dédie à Kalkbrenner, en remerciement des Variations composées par ce dernier sur sa Mazurka  op. 7 n° 17 Schlesinger préfère toutefois différer l’édition du Concerto en fa mineur, encore inconnu à Paris.8

Ce même mois, paraissent à Paris les Études op. 10, dédiées « à mon ami F. Liszt ».  L’édition londonienne à venir portera la mention: « à mes amis F. Liszt et F. Hiller ». 9 Toujours au cours du premier semestre, sont également publiées les deux cahiers de Mazurkas (op. 6 et 7), le Trio en sol mineur op. 8, et les Nocturnes op. 910

Les Études impressionnent profondément Liszt. Lui, le virtuose incontesté, découvre avec étonnement qu’il ne peut les jouer d'emblée. 11 Chopin, de son côté, confie à Hiller, dans une lettre collective du 20 juin rédigée avec Franchomme et Liszt : 

« [en français] Je vous écris sans savoir ce que ma plume barbouille parce que Liszt dans ce moment joue mes Études et me transporte hors de mes idées honnêtes. Je voudrais lui voler la manière de rendre mes propres Études. […] 

La lettre témoigne aussi de la proximité grandissante entre ces artistes. Elle est écrite à la triste occasion du départ de Hiller pour Francfort-sur-le-Main, après le décès de son père : 

« […] A propos, j’ai rencontré hier Heine qui m’a chargé de vous grüssen herzlich und herzlich [saluer chaleureusement et chaleureusement]. 
A propos encore, grâce pour tous les « vous » – je te prie de me les pardonner. Si tu as un moment à perdre, donne-nous de tes nouvelles qui nous sont bien chères. Paris, rue de la Chaussée-d’Antin N° 5. J’occupe à présent le logement de Franck – il est parti pour Londres et Berlin. Je me trouve parfaitement dans les chambres qui étaient si souvent notre point de réunion. Berlioz t’embrasse. […]. » 12

Liszt dira plus tard, à propos de l’amitié entre Heinrich Heine et Chopin : 

« ils se comprenaient au milieu des mots et au milieu des sons ». 13

Heine fut l’un de ceux qui comprirent le mieux et admirèrent le plus le génie de Chopin, qui, de son côté, adorait la poésie du grand écrivain. 14

Portrait de Heinrich Heine, par Moritz-Daniel Oppenheim, 1831
Portrait de Heinrich Heine, par Moritz-Daniel Oppenheim, 1831 (📸 wikipedia.org)

Dans cette même lettre, Chopin mentionne son installation récente, en juin 1833, dans un appartement plus spacieux et raffiné au 5, rue de la Chaussée-d'Antin, dans l’hôtel d’Épinay (aujourd’hui disparu) qu'il partage avec un compatriote, Aleksander Hoffmann, médecin mélomane et ancien élève de son père, Nicolas Chopin. C’était l’appartement du docteur Hermann Franck, lieu de rencontre du monde artistique. Dans ce quartier élégant, Chopin  reçoit désormais ses élèves dans un cadre plus en accord avec leur standing social. 15  Sait-il que W.A. Mozart a logé à l'hôtel d'Épinay lors de son séjour à Paris de 1778 ? 16

Chopin restera à cette adresse jusqu’en septembre 1836. Il partagera ensuite l’appartement avec Jan Matuszyński, ami d’enfance et médecin également. 17

Le biographe Adam Zamoyski restitue l’atmosphère de ce lieu, meublé et décoré par le compositeur lui-même: 

« Il tapissa les murs de papier gris perle, les sièges d’un tissu uni couleur gorge de pigeon et drapa généreusement les fenêtres et son lit de mousseline de soie blanche. » 18

Localisation du 5, rue de la Chaussée-d'Antin sur une carte
Localisation du nouveau domicile de Chopin, au 5, rue de la Chaussée-d'Antin, du logement précédent au 4, Cité Bergère, et des Editions Schlesinger (📸 La Pologne et les voyages de F. Chopin – Google My Maps



1.  Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome II (Korespondencja Fryderyka Chopina), p. 86
2. 3. Marie-Paule Rambeau : Chopin, l’Enchanteur autoritaire, p. 306. L'auteure ajoute un extrait de la lettre de Liszt à Agoult du 4 mars 1833: « Ne vous est-il pas arrivé de vous fâcher contre ce nom ? » 
4.  Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome II (Korespondencja Fryderyka Chopina), p. 91
5.  Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome II (Korespondencja Fryderyka Chopina), p. 95
6. Alfred Cortot : Aspects de Chopin, p. 224
7. L’Institut National Frédéric Chopin (Narodowy Instytut Fryderyka Chopina): 8 June 1833   Marie-Paule Rambeau : Chopin, l’Enchanteur autoritaire, p. 298
8. Tadeusz A. Zieliński : Frédéric Chopin,. p. 369
9.  L’Institut National Frédéric Chopin (Narodowy Instytut Fryderyka Chopina): 20 June 1833
10. Tadeusz A. Zieliński : Frédéric Chopin,. p. 368 
11. Tadeusz A. Zieliński : Frédéric Chopin, p. 336
12.  Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome II (Korespondencja Fryderyka Chopina), p. 93
13.  L’Institut National Frédéric Chopin (Narodowy Instytut Fryderyka Chopina): 20 June 1833 
14.  Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome II (Korespondencja Fryderyka Chopina), p. 94
15. L’Institut National Frédéric Chopin (Narodowy Instytut Fryderyka Chopina): June 1833  Marie-Paule Rambeau : Chopin, l’Enchanteur autoritaire, p. 306 — Tadeusz A. Zieliński : Frédéric Chopin, p. 389
16. Marie-Paule Rambeau : Chopin, l’Enchanteur autoritaire, p. 307 — Wikipédia: Rue de la Chaussée-d'Antin
17. Société Chopin à Paris : La vie de Chopin
18. Adam Zamoyski : Chopin, p. 117

📚 Sources :  Bibliographie


Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signes diacritiques, sans déclinaisons, ligatures, ni autres particularités typographiques: Bronislaw, Zielinski, Fryderyk, Matuszynski, Etudes, Epinay

Biographie #77

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