Publié le :  décembre 30, 2023,  par

L' influence majeure du folklore polonais (📖 6)

Dernière mise à jour : 5 décembre 2024


     A l'été 1824, Frédéric Chopin est invité à la campagne chez les parents d’un camarade de classe, Dominik Dziewanowski. Il passe août et septembre dans leur domaine de Szarfania, à environ deux cents kilomètres au nord-ouest de Varsovie, dans la région actuelle de Cujavie-Poméranie. Sa santé déjà fragile est sans doute l'une des raisons de ce séjour à Szafarnia. (Les différentes régions polonaises sont détaillées dans l'article La Pologne à l'époque de Frédéric Chopin)


"Le cheval marche lentement où il veut, et moi, tel un singe sur un ours, je reste en place, plein d'effroi"


Dans la lettre du 19 août, empreinte d'autodérision et destinée à son ami Wilhelm Kolberg, il partage ses talents équestres: 
« Il n'y a pas que toi qui ailles à cheval, moi aussi je sais monter. Ne me demande pas comment, mais je sais..., du moins de la manière suivante: le cheval marche lentement où il veut, et moi, tel un singe sur un ours, je reste en place, plein d'effroi. Je ne suis pas encore tombé parce que ma monture ne l'a pas encore voulu [...] »


"Mais pour satisfaire tout à fait mon maigre ventre, il suffirait qu'on me donnât la permission de manger à satiété du pain de campagne" 


A l'intention de sa famille, restée à Varsovie, il rédige la chronique de ses vacances sous le titre Courrier de Szafarnia, une imitation du Courrier de Varsovie (Kurjer Warszawski), signée du pseudonyme Sieur Pichon, anagramme de Chopin. Se conformant à une diète rigoureuse prescrite par le médecin, le jeune Frédéric s’octroierait bien quelques libertés...

« Grâce à Dieu, je vais bien et le temps passe toujours de la manière la plus agréable. Je ne lis ni n'écris, mais je joue, je dessine, je cours, je profite du grand air en me promenant en voiture où, comme hier, en parcourant la campagne [...] à cheval. J'ai un appétit extraordinaire. Mais pour satisfaire tout à fait mon maigre ventre, il suffirait qu'on me donnât la permission de manger à satiété du pain de campagne.» [chleba wieyshiego écrit en caractères gras 😅 signifie pain de campagne] 
Lettre de F. Chopin à sa famille à Varsovie, de Szafarnia, 10 août 1824, page 1
Lettre de F. Chopin à sa famille à Varsovie, de Szafarnia, 10 août 1824, page 1 (The Fryderyk Chopin Society, chopin.pl)


Dans sa lettre du 16 août, Frédéric pousse la parodie du Courrier de Varsovie jusqu'à taquiner la censure récemment instaurée dans le pays. Il soumet son message à l'approbation de Ludwika Dziewanowska (L.D), la tante de son ami Dominik. Lorsque celle-ci raye un passage dans l'une de ses lettres, Frédéric réplique avec esprit :
 
« je prie le censeur de ne pas me lier la langue 3 ».

Lettre du 16 août 1824 de F. Chopin à sa famille
Lettre du 16 août 1824 de F. Chopin à sa famille (szafarnia.art.pl)

"Les moustiques le mordent autant qu'ils peuvent, mais heureusement, ils épargnent son nez qui, sans cela, deviendrait plus grand encore"

 Le 24 août, dans une autre correspondance, 

« [...] Le sieur Pichon a de grands démêlés avec les cousins (moustiques) qu'il a rencontrés à Szafarnia, où ils se pressent en foule. Ceux-ci le mordent autant qu'ils peuvent, mais heureusement, ils épargnent son nez qui, sans cela, deviendrait plus grand encore 4 »

 

L'empreinte indélébile du folklore polonais

Frédéric assiste à une noce à Bocheniec, une localité toute proche, ainsi qu’à des cérémonies des moissons. Il y découvre des paysans chantant des airs populaires et jouant de leurs instruments traditionnels. Cette immersion dans le folklore polonais laissera une empreinte indélébile sur son art. 

C'est à Szafarnia que F. Chopin compose pour la première fois des Mazurkas 5. 

La mazurka englobe trois types de danses: le Mazur, originaire de Mazovie, le Kujawiak et l'Oberek. (Ces danses sont explorées plus en détail dans l'article consacré aux danses nationales polonaises).

Il entame également, à cette époque, la composition de ses premières valses.

Costume polonais de la fête des moissons
Jan Nepomucen Lewicki (1795-1871), illustration "Fête de la moisson" du livre Les costumes du peuple Polonais (...), Leon Zienkowicz, 1841.
Domaine de Szafarnia, devenu Centre Chopin de Szafarnia
Domaine de Szafarnia, devenu Centre Chopin de Szafarnia (Ośrodek Chopinowski w Szafarni, 📸 szafarnia.art.pl/en)


La grâce prévaut sur l'éclat


Frédéric rend régulièrement visite à son ami Jan Białobłocki durant son séjour, dans la propriété familiale de ce dernier à Sokołowo, située à cinq kilomètres de Szafarnia. Pensionnaire chez les Chopin pendant l'année scolaire, Jan a noué une solide complicité avec Frédéric, malgré leur différence d’âge : Frédéric est son cadet de quatre ans. Une lettre de Frédéric à Jan de la fin de l'été 1824 lui souhaitant "la complète guérison" de sa jambe révèle que celui-ci est déjà malade, atteint d'une tuberculose osseuse.    

Vers 1824, Frédéric compose une quatrième Polonaise, en sol dièse mineur, (WN 4, KK IVa/3, première édition posthume en 1864). Elle appartient au style "brillant", mais dans une déclinaison plus intimiste. 

Le style "brillant" se manifeste en effet sous deux formes distinctes : "l'une, éblouissante sur scène, débordante d'éclat et d'élan, tandis que l'autre s'adresse à un cercle plus intime d'auditeurs, dans un salon. Dans cette dernière variante, la grâce prévaut sur l'éclat, et la Polonaise en sol dièse incarne cette variante. 6"

Le manuscrit fut offert à la dédicataire, Mme Dupont (peut-être la mère ou la fille), et des témoins rappellent que F. Chopin la jouait fréquemment avec elle à quatre mains.  



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Anatol Ugorski interprète la Polonaise en sol dièse mineur, Opus posthume  

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A cette période, Frédéric compose également, sur demande (de Mme Katarzyna Sowińska, la dédicataire) les Variations sur un air national allemand, en mi majeur (WN 6, KK IVa/4, première édition posthume en 1851), œuvre légère qui est une "splendide parure des salons de Varsovie de l'époque 7".  

extrait de partition
nifc.pl

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Brigitte Engerer interprète les Variations sur un air national allemand, Opus posthume   

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1.2. Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome 1 (Korespondencja Fryderyka Chopina)
3.4. Tadeusz A. Zieliński : Frédéric Chopin
5. Agnieszka Brzezińska, directrice du Centre Chopin de Szafarnia, Polskie Radio : 200ème anniversaire du séjour de Chopin à Szafarnia
6. Institut National Frédéric Chopin (Narodowy Instytut Fryderyka Chopina) : Polonaise in G sharp minor 
7. Narodowy Instytut Fryderyka Chopina : Variations in E major on a German national air Der Schweizer Bub

📚 Sources: Bibliographie

➡️  Découvrez la fascination du public pour les improvisations de F. Chopin en cliquant sur l’épisode 7A quinze ans, F. Chopin publie son premier Opus, un Rondeau, fascine le public avec ses improvisations, et s'immerge dans les fêtes rurales (Biographie #7)

 La chronologie des œuvres de Chopin est détaillée dans la page Œuvres complètes



Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signe diacritique ni déclinaison: Sokolowo, Bialoblocki, Fryderyk, Sowinska, Bronislaw, Agnieszka Brzezinska

(Biographie #06)

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