À la une

Rafał Blechacz et Chopin

Image
« L’artiste conduit la poésie jusqu’à l’impalpable »   « Un coeur pur au piano, en nuances subtiles et racées » (Dernière mise à jour : 23 novembre 2024)  Rafał Blechacz, pianiste classique originaire de Pologne, a acquis une renommée internationale après  sa victoire éclatante au XVe Concours international de piano Frédéric Chopin à Varsovie. Le 21 octobre 2005  1 ,  à seulement vingt ans, il s'est distingué en remportant non seulement le premier prix, mais également tous les prix d'interprétation : meilleure Polonaise, meilleure Mazurka, meilleure Sonate, meilleur Concerto, ainsi que le Prix spécial du public. 2     Rafał Blechacz (📸  Marco Borggreve   ) Sa performance, d'une qualité exceptionnelle, a conduit le jury à ne décerner aucun deuxième prix cette année-là, une situation sans précédent dans l’histoire de ce prestigieux concours, fondé en 1927  3 .  En hommage à cette prouesse, Rafał Blechacz a également reçu une réplique de la couronne de laurier argentée offert

Frédéric Chopin à Vienne : Éclat d'un météore musical - Août 1829 (Biographie #26)



 Au cours de la semaine qui sépare les deux concerts, Frédéric Chopin est introduit auprès des personnalités les plus marquantes du milieu musical viennois, notamment Carl Czerny (1791-1857), pédagogue reconnu, ancien élève de Beethoven et professeur de Liszt. Czerny représente une école de piano classique mettant l’accent sur une technique irréprochable, acquise au travers d’inlassables exercices mécaniques, une conception du piano à l’opposé de celle de Frédéric.

Le second concert, toujours au Théâtre de l’Opéra impérial et royal (Kärntnertortheater) , au programme duquel figurait le Rondo à la Krakowiak et les Variations sur un thème de Mozart remporte un énorme succès public. Frédéric reçoit une ovation, mais malgré cela, il est confronté à une remarque désobligeante d'un auditeur, qu’il accueille avec philosophie.

Karl-Wenzel-Zajicek (1860-1923), Kärntnertortheater (Théâtre de l’Opéra impérial et royal) à Vienne, aquarelle sur papier (wikimedia



"J’ai plu, je le sais, aux dames et aux artistes"

Dès le lendemain du concert, le 19 août 1830, Frédéric écrit à sa famille:

 « Si je fus bien accueilli la première fois, je le fus mieux encore hier. Les bravos reprirent par trois fois lorsque je parus sur scène et le public était venu en plus grand nombre. […] Mon Rondo m’a procuré l’estime de tous les musiciens. Du chef d’orchestre à l’accordeur de piano, tous se sont déclarés frappés par la beauté de la composition. J’ai plu, je le sais, aux dames et aux artistes. […] Mais j’ignore si j’ai contenté ces pétrifiés d’Allemands [sic 😅]. […] et j’allai me coucher en me disant à moi-même:

"Il n’est pas encore né

Celui qui plaira à tout le monde"

[…] Personne ne me considère ici comme un élève. Blahetka s’étonne de ce que je n’ai jamais étudié ailleurs qu’à Varsovie. Je lui ai répondu qu’avec M. Żywny comme avec M. Elsner un âne bâté lui-même apprendrait.

[…] J’ai conquis les savants et les sensibles. Il y aura de quoi bavarder.

[…] Je reviens à l’instant d’avoir été prendre congé de Schuppanzigh [le fondateur du meilleur quatuor à cordes européen] et de Czerny. Ce dernier est plus sensible et plus tendre que toutes ses œuvres. […] » 1 

Frédéric n’a pas le temps de prendre connaissance des critiques car il part de Vienne en direction de Prague dès le lendemain du concert, mais elles s’avèrent enthousiastes.


"Bien que pur et assuré, son doigté rappelle fort peu celui de nos virtuoses, dont l’éclat proclame qu’ils sont bel et bien des virtuoses, tandis que lui le suggère à peine"

Après le premier concert, un article paru dans la revue Wiener Theaterzeitung le 20 août déclare: 
   « Chopin a créé une surprise: nous avons découvert en effet, en lui, un beau et remarquable talent. Considérant le caractère personnel de son jeu et de ses compositions, l’originalité de la forme et la force de sa personnalité, on pourrait lui reconnaître déjà un peu de génie […] Bien que pur et assuré, son doigté rappelle fort peu celui de nos virtuoses, dont l’éclat proclame qu’ils sont bel et bien des virtuoses, tandis que lui le suggère à peine, tel un interlocuteur dans une compagnie éclairée évitant cette outrecuidance rhétorique qui, chez les virtuoses, passe pour indispensable. […] Avec une simplicité naturelle, le jeune virtuose accepta à la fin du concert d’improviser librement devant notre public qui, à l’exception de Beethoven et de Hummel, n’accorda qu’à quelques rares improvisateurs sa gracieuse considération. Bien que le jeune homme, changeant plusieurs fois de thème, traitât à l’évidence l’improvisation comme un jeu, le cours de sa pensée, ses transitions infaillibles et ses développements limpides dévoilèrent un talent fort rare dans ce domaine. M. Chopin a fait aujourd’hui un plaisir si grand à un petit auditoire qu’il faut vraiment qu’il se produise à nouveau devant un public plus nombreux...2»


"Son désir de faire de la musique l’emporte visiblement sur le désir de plaire"

A la suite du second concert, la même revue, Wiener Theaterzeitung, publie un nouvel article le 1er septembre: 
« C’est un jeune homme qui suit son propre chemin, où il sait plaire, bien que sa manière de jouer – et de composer – diffère considérablement de ce que l’on entend d’ordinaire, avant tout parce que son désir de faire de la musique l’emporte visiblement sur le désir de plaire. Aujourd’hui aussi M. Chopin a plu unanimement. 3»


"La limpidité très rare de l’exécution, ainsi que ses œuvres marquées du sceau du génie véritable..."

Le 18 septembre, la célèbre Allgemeine Musikalische Zeitung de Leipzig écrit: 
« M. Chopin, pianiste de Varsovie, que l’on dit élève de Würfel, s’est révélé un maître de premier ordre. L’exceptionnelle délicatesse de son doigté, son incroyable habileté technique, sa manière parfaite de nuancer, née d’une extrême sensibilité, la retenue et le crescendo des sons, la limpidité très rare de l’exécution, ainsi que ses œuvres marquées du sceau du génie véritable - les Variations, le Rondo, l’improvisation libre – permettent de reconnaître en lui un virtuose indépendant, généreusement doté par la nature, qui, sans tapage inutile, apparaît comme l’un des météores les plus brillants dans le ciel de la musique.»


1. 2. Bronisław Edward Sydow: Correspondance de Frédéric Chopin, tome I (Korespondencja Fryderyka Chopina)
3. 4. Tadeusz A. Zieliński: Frédéric Chopin

📚 Sources: Références bibliographiques  

 ➡️ Découvrez la suite du voyage de F. Chopin, de Prague à Teplice en cliquant sur l'épisode suivant: Août 1829. Le voyage de F. Chopin: de Vienne à Prague et au-delà (Biographie #27)

⏱ La chronologie de l’oeuvre de F. Chopin est détaillée dans l’article " Oeuvres complètes de F. Chopin par ordre chronologique"


Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous et ne manquez aucun nouvel article: 

Follow this blog

Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signe diacritique ni déclinaison : Zywny, Fryderyk, Zielinski, Bronislaw



Commentaires

Articles les plus consultés

Rafał Blechacz et Chopin

A sept ans, le jeune Frédéric Chopin se révèle déjà comme véritable génie musical et devient célèbre (Biographie #4)

La naissance de F. Chopin: 1810, une grande année (Biographie #1)

L'immersion du jeune F. Chopin de 14 ans dans le folklore polonais le marque profondément (Biographie #6)

Une troisième Polonaise de F. Chopin à 11 ans, un nouveau professeur et des talents insoupçonnés (Biographie #5)

A l'âge de sept ans, le jeune Frédéric Chopin compose sa première oeuvre, une Polonaise (Biographie #3)

Les débuts au piano du jeune Frédéric Chopin dans un pays meurtri (Biographie #2)

Les premières grandes épreuves de la vie de F. Chopin (Biographie #13)

A quinze ans, F. Chopin publie son premier opus, un Rondeau, fascine le public avec ses improvisations, et s'immerge dans les fêtes rurales (Biographie #7)

Eté 1829, F. Chopin entre histoire, Opéra et légende, dans la région de Cracovie (Biographie #23)