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Rafał Blechacz et Chopin

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« L’artiste conduit la poésie jusqu’à l’impalpable »   « Un coeur pur au piano, en nuances subtiles et racées » (Dernière mise à jour : 23 novembre 2024)  Rafał Blechacz, pianiste classique originaire de Pologne, a acquis une renommée internationale après  sa victoire éclatante au XVe Concours international de piano Frédéric Chopin à Varsovie. Le 21 octobre 2005  1 ,  à seulement vingt ans, il s'est distingué en remportant non seulement le premier prix, mais également tous les prix d'interprétation : meilleure Polonaise, meilleure Mazurka, meilleure Sonate, meilleur Concerto, ainsi que le Prix spécial du public. 2     Rafał Blechacz (📸  Marco Borggreve   ) Sa performance, d'une qualité exceptionnelle, a conduit le jury à ne décerner aucun deuxième prix cette année-là, une situation sans précédent dans l’histoire de ce prestigieux concours, fondé en 1927  3 .  En hommage à cette prouesse, Rafał Blechacz a également reçu une réplique de la couronne de laurier argentée offert

L' étrange pressentiment de Frédéric Chopin (Biographie #42)

 

     Dans sa lettre du 4 septembre 1830 1 à son cher ami Tytus Woyciechowski, Frédéric Chopin confie ses hésitations quant à son futur voyage. Il envisage de se rendre à Vienne, en Italie, en Allemagne et à Paris, alors capitale culturelle de l’Europe. Cependant, les évènements politiques qui éclatent en Europe au cours de l’été 1830 rendent ce départ problématique. En effet, fin juillet 1830, l’insurrection parisienne des Trois Glorieuses provoque l’abdication du roi Charles X, remplacé par Louis-Philippe Ier. Ce renversement galvanise d’autres pays européens y compris ceux que Frédéric envisage de visiter. 2 3 4

Le moral de Frédéric est fluctuant, et un étrange pressentiment s’empare de lui. Sur le plan sentimental, il persiste dans les faux-semblants avec Alexandrine de Moriolles. De plus, son ami Tytus, avec qui il envisage de voyager, le désespère en repoussant constamment son arrivée à Varsovie pour des raisons professionnelles.


Osvald Klapper, Affiche du 45e Festival Chopin à Mariánské Lázně (Marienbad, Tchéquie), 2004 (📸 Muzeum Fryderyka Chopina)

"Si je m'en vais, je ne reverrai plus la maison, me semble-t-il ; je pense que je mourrai au loin"

 « Samedi 4 septembre 1830, il parait.

Mon bien cher Titus, 

Je te le dis, hypocrite, je suis encore plus fou que d'habitude. Je suis toujours ici, je ne me sens pas la force de fixer le jour de mon départ. Si je m'en vais, je ne reverrai plus la maison, me semble-t-il; je pense que je mourrai au loin. Et comme il doit être triste de mourir ailleurs qu'où l'on a vécu. Qu'il me serait affreux de voir auprès de mon lit de mort, non les miens, mais un médecin compassé ou un domestique. Crois-moi, j'ai souhaité plus d'une fois aller chez Chodkiewicz pour chercher le calme auprès de toi, au lieu de cela je sors de la maison, je vais dans la rue, je suis pris par la nostalgie et je rentre, à quoi bon ? pour languir. Je n'ai pas encore essayé le Concerto - quoiqu’il en soit, j'abandonnerai tous mes trésors avant la Saint Michel et je me trouverai à Vienne, condamné à soupirer éternellement. Qu'est-ce donc que cette perte de la notion du temps...


"Explique-moi pourquoi il me semble toujours qu'aujourd'hui ce sera seulement demain ? "

« Toi qui connais si bien la nature humaine explique-moi pourquoi il me semble toujours qu'aujourd'hui ce sera seulement demain ?  'Ne sois pas si sot', telle est la réponse que je puis me donner à moi-même. Si tu en connais une autre, envoie-la moi. Orłowski est à Paris.

[…] J'ai l'intention de passer deux mois à Vienne puis d'aller en Italie et de passer l'hiver au moins à Milan. J'aurai des lettres. Mademoiselle de Moriolles est rentrée hier des eaux. […]

Buchholtz a terminé son instrument à la Streicher [un des grands facteurs de pianos de Vienne]On joue bien dessus. Il est meilleur que ses pianos dit  'viennois' sans être près d'égaler les instruments viennois originaux de Vienne. Je termine aujourd'hui ma lettre sur ces riens, sur ces moins que rien, […]. Mais enfin, quoique j'écrive, il me semble que j'ai raison de le faire. Je ne peux donner libre cours à mon exaltation que dans cette lettre.

Si je me laissais aller à mon inspiration, la petite Moriolles ne me verrait pas aujourd'hui, mais j'aime faire plaisir aussi aux braves gens lorsqu'ils sont bien disposés à mon égard. Je n'ai pas encore été la voir depuis son retour. Je dois t'avouer que bien souvent j'ai laissé les gens s'imaginer qu'elle était la cause de ma mélancolie. .., beaucoup le croient et je suis calme, du moins en apparence.


"Raconter des bêtises, c'est tout ce que je sais faire"

« Mon père éclate de rire alors qu'il a peut être envie de pleurer, et moi alors je ris aussi, mais du bout des lèvres. Nous allons aller en Italie, mon chéri. Durant le mois prochain tu ne recevras aucune lettre de moi de Varsovie et peut-être n'en auras-tu pas davantage d'autres lieux. Tant que nous ne nous serons pas revus, tu ne sauras probablement rien de moi. Raconter des bêtises, c'est tout ce que je sais faire, quant à quitter la ville...Cela t'arrivera à toi aussi ! Je t'attendrai, mais pas en vain. Pourtant combien en recevrai-je d'abord de lettres me disant : 'La construction du moulin est finie, mais je dois faire élever une distillerie...' Et puis, ce sera la laine .., puis les agneaux... Enfin viendra le temps des secondes semailles... Et quand ce ne seront plus ni le moulin, ni la distillerie, ni la laine, qui te retiendront…, ce sera autre chose.


"Il vaudrait mieux pour les hommes ne connaître ni argent, ni macaroni, ni souliers, ni chapeaux, ni biftecks, ni crêpes, ni rien."

« On a rarement des raisons d'être satisfait. Aussi pourquoi alors que l'on a peut-être quelques instants seulement pour être heureux, pourquoi s'arracher aux illusions de bonheur que l'on peut avoir ? Bien que, d'une part, je considère les apports de la civilisation comme sacrés, j'affirme de l'autre qu'ils sont une invention infernale et qu’il vaudrait mieux pour les hommes ne connaître ni argent, ni macaroni, ni souliers, ni chapeaux, ni biftecks, ni crêpes, ni rien. Mais ils connaissent tout cela ! […] Je vais me débarbouiller. Ne m'embrasse pas, car je ne suis pas encore lavé! Toi ? Même si j'étais enduis d'essence byzantine, tu ne m'embrasserais que si je t’y contraignais par magnétisme ; il existe des forces dans la nature ! Aujourd'hui tu rêveras que tu m'embrasses ! II faut que je me venge du rêve affreux que tu m'as donné cette nuit.

F. Chopin

Pour toujours amateur de l'hypocrisie personnifiée.[…] L'Italien Soliva m'a demandé la date de ton arrivée. Il te salue. […] »


1. Bronisław Edward Sydow: Correspondance de Frédéric Chopin, tome I (Korespondencja Fryderyka Chopina)
2. Tadeusz A. Zieliński: Frédéric Chopin (page 214)
3. Marie-Paule Rambeau: Chopin, l’Enchanteur autoritaire (page 181)
4. culture.pl : https://culture.pl/en/artist/fryderyk-chopin-frederic-chopin

📚 Sources: Références bibliographiques

➡️ Découvrez les doutes de Frédéric Chopin avant son grand départ à l'étranger en cliquant sur l'épisode 43 : "J'habiterai près de l'écurie" : Les doutes de F. Chopin avant le grand départ (Biographie #43)

⏱ La chronologie de l’oeuvre de F. Chopin est détaillée dans l’article " Oeuvres complètes de F. Chopin par ordre chronologique"


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Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signe diacritique ni déclinaison: Orlowski, Zielinski, Fryderyk, Marianske Lazne, Bronislaw

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