À la une

Rafał Blechacz et Chopin

Image
« L’artiste conduit la poésie jusqu’à l’impalpable »   « Un coeur pur au piano, en nuances subtiles et racées » (Dernière mise à jour : 23 novembre 2024)  Rafał Blechacz, pianiste classique originaire de Pologne, a acquis une renommée internationale après  sa victoire éclatante au XVe Concours international de piano Frédéric Chopin à Varsovie. Le 21 octobre 2005  1 ,  à seulement vingt ans, il s'est distingué en remportant non seulement le premier prix, mais également tous les prix d'interprétation : meilleure Polonaise, meilleure Mazurka, meilleure Sonate, meilleur Concerto, ainsi que le Prix spécial du public. 2     Rafał Blechacz (📸  Marco Borggreve   ) Sa performance, d'une qualité exceptionnelle, a conduit le jury à ne décerner aucun deuxième prix cette année-là, une situation sans précédent dans l’histoire de ce prestigieux concours, fondé en 1927  3 .  En hommage à cette prouesse, Rafał Blechacz a également reçu une réplique de la couronne de laurier argentée offert

"Rien ne m'attire au dehors de notre pays" : Confidences de F. Chopin et musique insolite (Biographie #40)

 


     De retour à Varsovie, Frédéric Chopin, dans une nouvelle lettre à son cher ami Tytus Woyciechowski datée du 31 août 1, évoque, en dehors de son prochain départ et de son admiration pour Konstancja Gładkowska, un séjour à Sochaczew, localité située à sept kilomètres de Żelazowa Wola , où il a rencontré le général Piotr Szembek. Cet ami des Skarbek 2, qui s'illustrera lors de l'Insurrection de Novembre 1830 3, est non seulement un bon violoniste, mais également à la tête d'une formation musicale militaire talentueuse. Frédéric apprécie moins un article d’un journal berlinois sur le mouvement musical à Varsovie qui cite, parmi les élèves d’Elsner, Orłowski en premier, avant Chopin. Il a bien conscience que pour conquérir la première place, il lui faut partir.

"Sochaczew, Église et ancien monastère des Dames Dominicaines, fondé en 1244 par le prince Jacek Odrowąż" (📸 Maison natale de F. Chopin à Żelazowa Wola)

"Je suis encore à Varsovie, et, aussi vrai que je t'aime, rien ne m'attire au dehors de notre pays."

« Varsovie encore, mardi 31 août 1830,

Mon très cher Tytus,

Ta lettre est arrivée bien à point. Elle a suffi pour me guérir du rhume dont je souffrais. Puissent les miennes produire un effet tout aussi salutaire. Ah ! si elles pouvaient débarrasser leur destinataire de toute hypocrisie et de toute fausseté ! Celle-ci, j'en suis sûr, n'aura point pareil résultat. Tout au contraire, elle va provoquer des éclats nouveaux; elle allumera la colère dans ton coeur de lion. Une distance de quarante milles nous sépare heureusement, sinon ta vengeance s'exercerait, sans doute, dans toute sa cruauté contre moi. La faute est grande mais combien douce à celui qui l'a commise. Je suis encore à Varsovie, et, aussi vrai que je t'aime, rien ne m'attire au dehors de notre pays. Crois-moi, si je pars la semaine prochaine, c'est à-dire en septembre (c'est le 1er demain), je m'en irai pour suivre ma vocation et obéir au bon sens (le mien doit être bien faible car il n'a pas réussi à chasser de mon esprit toutes les autres pensées). Le jour du départ approche, aussi devrais-je dès cette semaine, essayer tout le Concerto avec le quatuor afin que ce quatuor s'habitue à l'oeuvre et pour l'apprivoiser un peu.


"Il n'y a pas une seconde Gładkowska pour la pureté de la voix, l'intonation et la haute qualité du sentiment"

« […] Soliva avait si bien préparé Mademoiselle Wołków pour samedi qu'elle a ensorcelé tous les fauteuils et le parterre. Elle a plu par sa coquetterie, son jeu excellent, ses dents si jolies et ses yeux charmants. […] Pour le chant, Gładkowska lui est infiniment supérieure. Avant d'avoir entendu Wołków de la scène, je n'aurais pu croire que ce fut à ce point. Ernemann  et moi estimons qu’il n'y a pas une seconde Gładkowska pour la pureté de la voix, l'intonation et la haute qualité du sentiment dont elle fait preuve. Il arrive à Wołków de chanter faux. Gładkowska - je l'ai entendue deux fois dans Angèle [Agnese] n'a jamais une note douteuse.


"Szembek a fait jouer pour moi la musique de son régiment"

«[…] Avant-hier, j'ai fait une seconde visite au camp du général Szembek dont le quartier est établi à Sochaczew. […] Szembek aime beaucoup la musique ; […] il joue bien du violon. C'est un Paganiniste enragé et il appartient à la caste des bons musiciens. Il a fait jouer pour moi la musique de son régiment. Celle-ci avait répété pendant toute la matinée. J'ai entendu des choses extraordinaires. […] Cela m'a donné beaucoup à penser d'entendre la Cavatine de la Muette [de Portici d'Auber], jouée par ces trompettes avec toute la précision et toutes les nuances voulues. Szembek possède un piano dans son camp. Je ne sais comment cela s'est fait, mais il n'a pas semblé seulement me comprendre, il m'a compris vraiment. L'Adagio a produit sur lui une impression profonde. Il ne voulait pas me laisser partir. Tant et si bien que je suis arrivé en retard au Turc [Le Turc en Italie de Rossini]. »

Le général Piotr Szembek commandait alors la 3e brigade d'infanterie, établie dans un ancien couvent de Dominicaines à Sochaczew. Le bâtiment fut détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. 5 6 

Le Comité Sochaczew Chopin, créé en 1926, et branche de la Société des amis de la maison de Chopin à Varsovie, participa à l’achat de la Maison natale de Chopin à ŻelazowaWola à ses propriétaires privés. 5 6


" ...quelques élèves parmi lesquels Messieurs Orłowski , Chopin et d'autres qui, avec le temps, pourront contribuer à etc., etc."

« A propos, un journal de Berlin a publié un article tout à fait stupide sur le mouvement musical à Varsovie. Il parle d'abord d'Angèle [Agnese, interprété par Konstancja Gładkowska] qu’il loue à juste titre aussi bien pour le chant et le sentiment que pour le jeu scénique. Quelques lignes plus loin, on peut lire : "Cette jeune artiste est sortie de l'institut fondé et dirigé par Messieurs Elsner et Soliva. Le premier de ceux-ci, professeur de composition, a formé quelques élèves parmi lesquels Messieurs Orłowski, Chopin et d'autres qui, avec le temps, pourront contribuer à etc., etc." Que le diable emporte un tel compagnon ! "On vous a jolliment collé" [sic, en français dans le texte 7 ] m'a dit Bouquet tout en fredonnant et les yeux plus rouges que jamais. Ernemann 4 trouve que je dois m'estimer heureux d'être cité en deuxième lieu. L'article n'ajoute rien à propos de ces élèves et il se termine de la sorte. "Quant aux travaux de Messieurs Elsner, Soliva et Kurpiński, nous en reparlerons plus tard". Absurdité complète d'un Varsovien très intelligent. »

Antoni Orłowski (1811-1861) est un violoniste et compositeur, condisciple de Chopin au Conservatoire de Varsovie, à partir de 1826. Le Concerto en fa mineur (n° 2 opus 21) de Chopin, suite à son succès retentissant lui servit ouvertement de matériau. En effet, il s’empressa d’écrire  "des mazurkas et des galopades"  8, avec l’intention de les éditer chez Brzezina. Atterré, Chopin avait tenté de l’en dissuader en faisant appel au bon sens de l’auteur et de l’éditeur, mais en vain, "l'appât du gain l'a emporté"  9, constata-t-il. 10 11 12

 

"Réjouis-toi d'avoir en moi-même un abîme où tu peux tout jeter sans crainte comme en un autre toi-même"

« […] Tout le monde me parle d'Olesia 13 14 et personne d'un certain quelqu'un d'autre. Mais je me réjouis que le secret se soit noyé dans mon coeur et qu’il y ait en moi la fin de ce dont le commencement se trouve en toi. Réjouis-toi d'avoir en moi-même un abîme où tu peux tout jeter sans crainte comme en un autre toi-même, car il y a longtemps que ton âme y est déposée au fond. Je cache tes lettres comme le ruban d'une amante. J'ai le ruban 14 ; écris-moi et nous nous dorloterons de nouveau dans une semaine.

A toi pour toujours.

F. Chopin

[…] Je ne peux me résigner à quitter ce papier. Figure-toi que Mademoiselle F... veut absolument que je m'occupe d'elle, que je lui apprenne à jouer du piano et caetera... Papa le voudrait bien, il m'a plusieurs fois incité à aller la voir, elle vient chez moi, mais je ne me sens aucune inclination pour elle. Pauvre fille, il faut qu'elle joue des concertos, et elle ne sait rien. Je lui ai conseillé Ernemann. Mais Ernemann n'en veut pas et lui conseille Dobrzyński. Elle se dit Lithuanienne, or, Dobrzyński est de la même province. Qu'ils se complètent donc ! Ce ne sont là que facéties. »

Localisation de Sochaczew, Żelazowa Wola et Varsovie (📸La Pologne et les voyages de F. Chopin – Google My Maps



1. Bronisław Edward Sydow: Correspondance de Frédéric Chopin, tome I (Korespondencja Fryderyka Chopina)
2. Tadeusz A. Zieliński: Frédéric Chopin (page 215)
3. pl.wikipedia.org: Piotr Szembek
4. Maurycy Ernemann (1800–1866) pianiste et compositeur d'origine allemande. Installé à Varsovie en 1820, il est depuis 1825 professeur de piano au Conservatoire de Varsovie (sous la direction d’Elsner). Institut National Frédéric Chopin: Maurycy Ernemann:  
5. Institut National Frédéric Chopin (Narodowy Instytut Fryderyka Chopina) : Sochaczew 
6. Blog De La Note à La Plume: Sochaczew 
7. Marie-Paule Rambeau: Chopin, l’Enchanteur autoritaire (page 181)
8. Lettre du 10 avril 1830 à Tytus Woyciechowski en post-scriptum : "A propos, parmi les nouvelles drôles, voici : Orłowski a fait d’après certains de mes thèmes des mazurkas et des galopades que je lui ai demandé toutefois de ne pas imprimer" Bronislas-Edouard Sydow: Correspondance de Frédéric Chopin, tome I  
9. Lettre du 17 avril 1830 à Tytus Woyciechowski : "Quant aux mazoures sur des thèmes à moi, l’appât du gain l’a emporté"  Bronislas-Edouard Sydow: Correspondance de Frédéric Chopin, tome I  
10. Wikipedia: Antoni Orlowski
11. Tadeusz A. Zieliński: Frédéric Chopin (pages 72 et 181)
12. Marie-Paule Rambeau: Chopin, l’Enchanteur autoritaire (page 172)
13. Olesia (Aleksandra) Pruszak: camarade de jeux d’enfance de Chopin, avec son frère Konstanty (Kostuś). Chopin lui a également donné des leçons de piano, et a concocté des plans pour la marier à son ami Tytus Woyciechowski, bien que cela n’ait jamais abouti. Institut National Frédéric Chopin: Pruszak
14. Chopin eut certainement l’occasion de se déclarer, du moins de laisser deviner ses sentiments. Il faut croire que Konstancja n’attendait que cela : elle lui donna un ruban, qu’il porta désormais sur son coeur (Marie-Paule Rambeau: Chopin, l’Enchanteur autoritaire, page 180)

📚 Sources: Références bibliographiques

➡️Découvrez la poésie mise en musique par Frédéric Chopin en cliquant sur l'épisode 41: F. Chopin et la poésie en musique : Valse et Mélodies inédites de 1830 (Biographie #41)

⏱ La chronologie de l’oeuvre de F. Chopin est détaillée dans l’article " Oeuvres complètes de F. Chopin par ordre chronologique"


Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous et ne manquez aucun nouvel article: 

Follow this blog

Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signe diacritique ni déclinaison:Odrowaz, Gladkowska, Zelazowa Wola,  Orlowski, Wolkow, Kurpinski, Dobrzynski, Fryderyk, Kostus, Zielinski, Bronislaw 

Commentaires

Articles les plus consultés

Rafał Blechacz et Chopin

A sept ans, le jeune Frédéric Chopin se révèle déjà comme véritable génie musical et devient célèbre (Biographie #4)

La naissance de F. Chopin: 1810, une grande année (Biographie #1)

L'immersion du jeune F. Chopin de 14 ans dans le folklore polonais le marque profondément (Biographie #6)

Une troisième Polonaise de F. Chopin à 11 ans, un nouveau professeur et des talents insoupçonnés (Biographie #5)

A l'âge de sept ans, le jeune Frédéric Chopin compose sa première oeuvre, une Polonaise (Biographie #3)

Les débuts au piano du jeune Frédéric Chopin dans un pays meurtri (Biographie #2)

Les premières grandes épreuves de la vie de F. Chopin (Biographie #13)

A quinze ans, F. Chopin publie son premier opus, un Rondeau, fascine le public avec ses improvisations, et s'immerge dans les fêtes rurales (Biographie #7)

Eté 1829, F. Chopin entre histoire, Opéra et légende, dans la région de Cracovie (Biographie #23)