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Vienne, le concert du 11 juin 1831 et la désillusion de F. Chopin (Biographie #56)
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Après un séjour de sept mois à Vienne, Frédéric Chopin finit par accepter une invitation à donner un concert public. Il se produit ainsi gracieusement le 11 juin 1831 au Kärntnertortheater, lors d’une représentation organisée par Duport en faveur du danseur Dominik Mattis. 1 2
Un article de presse publié dans l’Allgemeine Theaterzeitung du 18 juin, signé par le célèbre critique Friedrich A. Kanne, salue cette prestation tout en émettant quelques réserves :
« Ce jeune musicien de Varsovie […] fait partie de ces artistes […] qui suivent leur propre voie […]. Le compositeur développe son style […] avec beaucoup d’inventivité et une grande connaissance de l’harmonie. […] ses passages abondent en figures pianistiques nouvelles. A côté de toutes ces qualités, dont la dernière est particulièrement précieuse, il faut néanmoins signaler que certains passages sont un peu trop étirés et trop faiblement soutenus par l'orchestre. Son jeu dénote la plus grande dextérité, avec un toucher très discret : ses figures sont pures, à cela près que le jeune virtuose manie la mesure un peu trop librement et semble chercher à parvenir rapidement à une cadence brillante, susceptible d'émouvoir les auditeurs. Mais ce ne sont que des aspects secondaires, avec les grandes qualités qu'il possède déjà, il corrigera de lui-même les imperfections par l'exercice et l'expérience. […] Il a joué sur un piano de qualité du facteur de la cour, Conrad Graf. Nous nourrissons l'espoir que le jeune virtuose occupera bientôt une place de marque parmi les meilleurs pianistes. » 3
Cependant, dans une lettre adressée à sa famille le 25 juin 4, Frédéric ne fait aucune allusion à cet article. Conscient que ce deuxième séjour à Vienne ne lui apporte pas le même succès que le premier, ses préoccupations se tournent plutôt vers les tracas administratifs qui retardent son départ pour Paris 5, ainsi que vers les plaisirs plus légers, comme une fête donnée chez le docteur Malfatti, ou des excursions sur les collines entourant la ville. Dans cette lettre, Chopin confirme son talent d’écrivain en nous transportant avec poésie dans l’atmosphère envoûtante de la soirée chez Malfatti.
Carte postale de Kahlenberg et Leopoldsberg (📸: booklooker.de) |
"Je rencontre des obstacles à chaque pas"
« Vienne, le 25 juin 1831
Je suis bien portant et c'est ma seule consolation, car mon départ ne s'arrange pas et cela d'étrange façon. Je n'ai encore rien éprouvé de pareil. Vous savez comme j'étais indécis à propos de ce voyage, or, je rencontre des obstacles à chaque pas. Chaque jour, on me promet mon passeport et chaque jour on me renvoie d'Anne à Caïphe pour me faire reprendre à la police ce passeport que j'ai dû y déposer. Aujourd'hui, on m'a appris cette nouvelle : mon passeport serait égaré ! Non seulement on ne fera rien pour le retrouver, mais encore je dois introduire une demande pour en obtenir un nouveau. Nous [c'est-à-dire les Polonais] subissons tous à présent, de bien étranges vicissitudes ! Je suis prêt à partir et je ne le puis. Je suivrai le conseil de Bayer et me ferai donner un passeport pour l'Angleterre, mais je me rendrai à Paris. Malfatti m'a donné une lettre pour son bon ami Paër. Kandler m'a consacré un article dans un journal musical de Leipzig.
Ce commentaire ne fut publié qu’en septembre 6, dans le prestigieux Allgemeine Musikalische Zeitung de Leipzig : « […] Il y eut également une prestation de M. Chopin, enfant lui aussi de la capitale sarmate, qui lors de son séjour l’année dernière, s’est fait connaître comme un pianiste de premier plan. L’interprétation de son dernier Concerto en mi mineur, œuvre d’envergure, nous incite à maintenir notre premier jugement. Celui qui conçoit aussi noblement l’art véritable mérite un véritable respect. »
« ...les fontaines jaillissaient, les serres imprégnaient l'atmosphère de suaves parfums »
« Je suis rentré chez moi hier à minuit, car c'était la Saint-Jean et par conséquent, la fête de Malfatti. A cette occasion, Mechetti lui avait préparé une surprise : Wild, Cicimara, Mesdemoiselles Emmering, Lutzer et moi en personne lui avons donné une séance de musique peu commune. […] Wild était bien en voix. Quant à moi je remplissais en somme les fonctions de chef d'orchestre.
[Note marginale de Chopin:] Cicimara a dit qu'il n'y a personne à Vienne pour accompagner comme moi. J'ai pensé : « Je le sais parfaitement » (Chut !) 😅 [Fin de la note marginale].
Un grand nombre d'auditeurs étrangers nous écoutaient de la terrasse. Il y avait un admirable clair de lune, les fontaines jaillissaient, les serres imprégnaient l'atmosphère de suaves parfums ; en un mot : une nuit splendide, un endroit vraiment délicieux. […] D'immenses baies ouvertes jusqu'au sol donnent sur une terrasse d'où l'on découvre tout Vienne. Beaucoup de miroirs et peu de lumières. […] L' amabilité sincère et la prévenance du maître de la maison, l'élégance, l'aisance, la gaieté de la société, l'esprit qui y régnait et un souper exquis nous retinrent très longuement et c'est seulement vers minuit que nous montâmes en voiture pour rentrer chacun chez nous.
« Cette bague, vous pouvez la vendre si vous le voulez »
« Je règle mes dépenses aussi strictement que je le peux et j'entoure chaque kreutzer des mêmes soins que cette bague à Varsovie 7, Cette bague, vous pouvez la vendre si vous le voulez ; je vous coûte déjà assez, pour mon malheur.
J'ai gravi avant-hier le Leopoldsberg et le Kahlenberg en compagnie de Kumelski 8 et de Czapek. [...]. La journée fut merveilleuse. Je n'avais jamais encore fait une promenade aussi belle. Du Leopoldsberg, on voit Vienne en entier, Wagram, Aspern, Pressbourg, le monastère de Neubourg, le château où Richard Coeur-de-Lion fut emprisonné, et toute la haute vallée du Danube.
Vue sur le Danube depuis le Leopoldsberg (📸: oe24.at) |
Vue depuis le Kahlenberg vers le Leopoldsberg, Leopold Munsch (1826-1888): (📸: meisterdrucke.ie) |
« Après déjeuner, nous avons fait l'ascension du Kahlenberg où fut établi le camp du roi Sobieski (j'y ai pris, à un arbre, la petite feuille que je vous envoie pour Izabella). Il y a là l'église des camaldules où Jan Sobieski, avant d'attaquer les Turcs, arma chevalier son fils Jacques et servit lui-même la messe.
St. Josefskirche, Kahlenberg (📸: istockphoto.com) |
Le Kahlenberg est un lieu emblématique de Vienne, associé à la bataille de 1683. C’est depuis ce camp établi sur cette colline stratégique que le roi polonais Jan III Sobieski a dirigé ses troupes contre l’Empire ottoman, sauvant ainsi la ville. La chapelle Sobieski, située dans l’église Saint-Joseph est aujourd’hui un sanctuaire national polonais. 9 10
« Vers le soir, nous gagnâmes le Krapfenwald, petit wallon charmant où il nous fut donné d'observer une coutume curieuse. Les gamins se couvrent de feuilles des pieds à la tête, et dans ce costume, tels des buissons vivants, dansent tout en interpelant les gens qui passent. L'un d'eux pareillement recouvert de feuillage est appelé Pfingstkönig. C'est une manière de célébrer la Pentecôte. Stupide originalité. 😅
Vue de Vienne depuis le Krapfenwald, Balthasar Wigand (1770–1846, 📸: wikimedia.org) |
Georges le Vert en Styrie (Grüner Georg in der Steiermark), extrait de Kronprinzenwerk, vers 1890 (📸: onh.nl ) |
Le terme allemand Pfingstkönig, littéralement traduit par "le roi de la Pentecôte" désigne une tradition populaire dans certaines régions germanophones, notamment en Autriche et en Allemagne. Ce titre honorifique est souvent attribué à un jeune homme ou à un enfant lors des célébrations de la Pentecôte.
« Il y a quelques jours, j'ai passé la soirée chez Fuchs qui m'a montré sa collection de quatre cents autographes parmi lesquels se trouve déjà relié, mon Rondeau pour deux pianos. Quelques personnes étaient venues dans l'intention de faire ma connaissance. Fuchs m'a fait cadeau d'un autographe de Beethoven. 11
Votre dernière lettre m'a fait grand plaisir, car tous ceux qui me sont chers s'y trouvent réunis sur la même feuille de papier. Alors je baise en remerciement ces mains et ces pieds comme il n'y en a pas à Vienne. »
Localisation à Vienne de Kohlmart, 9 (appartement de Chopin), du Kärtnertortheater, du parc du Prater, du Leopoldsberg, du Kahlenberg, et du Krapfenwald (La Pologne et les voyages de F. Chopin – Google My Maps) |
1. Tadeusz A. Zieliński:
Frédéric Chopin pages 287 et 289
2. Institut National Frédéric Chopin (Narodowy Instytut Fryderyka
Chopina) : 11 czerwca
3. Tadeusz A. Zieliński: Frédéric Chopin page 288
4. Bronisław Edward Sydow:
Correspondance de Frédéric Chopin, tome I (Korespondencja
Fryderyka Chopina)
page 264
5. Tadeusz A. Zieliński:
Frédéric Chopin page 291
6. Tadeusz A. Zieliński:
Frédéric Chopin page 289
7. La bague offerte à
Chopin par le tsar Alexandre en 1825.
8. Norbert
Alfons Kumelski (1802-1853): naturaliste polonais, s’est lié
d’amitié avec Chopin en 1831, alors qu’il séjournait à Vienne (Narodowy Instytut Fryderyka Chopina: Norbert Alfons Kumelski)
9. Wikipedia : L’église Saint-Joseph (Kahlenberg)
10. L’église Saint Joseph
sur le Kahlenberg : Sanctuaire national polonais du Kahlenberg
11. Tadeusz A. Zieliński:
Frédéric Chopin page 291
📚 Sources: Références bibliographiques
➡️ Explorez la vie de F. Chopin, de l'enfant prodige et espiègle à l'adulte bien éloigné des clichés, en cliquant sur ce lien: Biographie
⏱ La chronologie de l’oeuvre de F. Chopin est détaillée dans l’article " Oeuvres complètes de F. Chopin par ordre chronologique"
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déclinaison : Bronislaw,
Zielinski,
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