Le 9 mars 1832, Antoni Orłowski écrit à ses parents : « Notre cher Frédéric a donné un concert qui lui a apporté une grande réputation et un peu d’argent. Il a surpassé tous les pianistes d’ici, tout Paris est abasourdi. D’ailleurs, je le lui avais prédit dès son arrivée. » 1
Motivé par son succès aux salons Pleyel, Frédéric Chopin adresse, le 13 mars, une requête à la Société des concerts du Conservatoire, espérant y jouer.
Lettre de F. Chopin du 13 mars 1832 au Conservatoire de musique de Paris (📸 gallica.bnf.fr) |
« Messieurs les membres du comité de la société des concerts
Messieurs,J’ambitionne extrêmement la faveur d’être entendu à un de vos admirables concerts, et je viens la solliciter de vous.
Confiant, à défaut d’autres titres pour l’obtenir, dans votre bienveillance pour les artistes, j’ose espérer que vous voudrez bien accueillir favorablement ma demande.
J’ai l’honneur d’être, Messieurs,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Frédéric Chopin
Paris, 13 mars 1832
(Cité Bergère, n° 4) »
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Salle du Conservatoire de musique de Paris au XIXe siècle, gravure de 1888 (📸 hberlioz.com) |
Situé dans l’Hôtel des Menus-Plaisirs, à l’angle de la rue du Faubourg Poissonnière et de la rue Bergère 3 , il dispose d’une salle de concert pouvant accueillir un millier de spectateurs. 4
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Entrée principale du Conservatoire de musique de Paris, au 11, rue du Faubourg Poissonnière, gravure de 1848 (📸 kunstkopie.de et hberlioz.com) |
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Plan de l'Hôtel des Menus-Plaisirs, où est situé le Conservatoire de musique de Paris, en 1836 (📸 Wikipedia) |
Le Conservatoire de musique a quitté ces locaux en 1911. La Salle du Conservatoire à l'acoustique incomparable, est aujourd'hui utilisée, après avoir subi une restauration la rendant inutilisable pour les concerts, par le Conservatoire national supérieur d'art dramatique. 5
Si le 13 lui porte habituellement chance 6, cette fois sa requête reste lettre morte. La seule annotation portée sur sa lettre invoque une « demande arrivée trop tard ». 7
Comme indiqué dans son courrier, il habite désormais au 4, Cité Bergère, non loin de sa précédente mansarde dépourvue de cheminée du 27, Boulevard Poissonnière. Sa chambre meublée, située au premier étage, est mieux isolée, chauffée et plus au calme, mais sombre et sans vue, sa fenêtre donnant sur une cour obscure. 8 9
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4, Cité Bergère, 75009 Paris (📸Pinterest et commons.wikimedia.org) |
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4, Cité Bergère, 75009 Paris (📸 Carmen Desor) |
Cependant, ses finances restent fragiles. Les recettes de son concert du 25 février, le premier donné à Paris, sont bien maigres. Il doit encore compter sur l’aide de ses parents.
Son père, qui lui avait envoyé un « petit renfort » en novembre 10 s’est inquiété des dépenses qu’il a dû engager pour donner ce concert 11. Et sa mère vient de lui envoyer 1200 francs, somme considérable pour l’époque 12.
Selon Piotr Witt, le concert n'aurait rapporté que 16 francs à Frédéric. À titre de comparaison, son voyage de Vienne à Paris lui avait coûté 750 francs, soit une somme supérieure au salaire annuel d’un maçon parisien. 13
Malgré ces difficultés, l’intérêt que suscite son talent lui ouvre de nouvelles opportunités. L’éditeur Aristide Farrenc, impressionné, avait écrit le 9 mars à Kistner, son homologue de Leipzig: « Son succès a été énorme, et rappelez-vous qu'il faut quelque chose d'extrêmement exceptionnel pour faire impression après ces pianistes splendides que Paris possède depuis plusieurs années, tels que Moscheles, Hummel et Kalkbrenner ». 14 Frédéric conclut alors un contrat avec Farrenc 15, dont l’avance reçue apporte un soulagement bienvenu. 16
Par ailleurs, son réseau s’étend. Introduit par Pixis, il a fait la connaissance de Maurice Schlesinger, éditeur influent et directeur de la Gazette Musicale, qui l’encourage à composer des Variations sur Robert le Diable, opéra dont la publication a été particulièrement lucrative. 17
Dans les cercles aristocratiques polonais en exil, Frédéric devient un professeur recherché, apprécié pour ses manières distinguées, et à qui ils peuvent confier sans crainte leurs épouses et leurs filles. 18
Mais une menace plane sur Paris : l’épidémie de choléra se propage, et l’inquiétude gagne la population.
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Localisation des Salons Pleyel, des deux logements successifs de F. Chopin, du Conservatoire, et des éditions Schlesinger (La Pologne et les voyages de F. Chopin – Google My Maps) |
2. Piotr Witt: Chopin à Paris, une affaire non classée (préface de Rafał Blechacz) p. 216; Tadeusz A. Zieliński : Frédéric Chopin p. 345; Wikipedia: Conservatoire
3. L'entrée principale du Conservatoire est alors située au 11, rue du Faubourg Poissonnière (Wikipedia: Hôtel des Menus-Plaisirs). Une erreur s’est glissée dans le livre de Piotr Witt (Chopin à Paris, une affaire non classée, p. 215) où l'adresse est indiquée à tort comme étant le 11, boulevard Poissonnière.
4. Piotr Witt: Chopin à Paris, une affaire non classée, p. 215
5. Wikipedia: Conservatoire
6. Piotr Witt: Chopin à Paris, une affaire non classée, p. 215
7. Piotr Witt: Chopin à Paris, une affaire non classée, p. 216 et Narodowy Instytut Fryderyka Chopina: 13 March
8. C'est actuellement la chambre 720 de l'hôtel de la Cité Bergère. (Piotr Witt: Chopin à Paris, une affaire non classée, p. 331.) Tadeusz A. Zieliński (Frédéric Chopin, p. 347) mentionne également le 1er étage. Marie-Paule Rambeau (Chopin, l’Enchanteur autoritaire, p. 269) mentionne le 2e étage.
9. Piotr Witt situe ce déménagement à la mi-décembre 1831 ou au début de janvier 1832, tout comme Krystyna Kobylańska et Roger de Garaté. Ce dernier a établi l'adresse à partir de documents notariés. Les biographes antérieurs indiquaient par erreur le mois de juin 1832. (Piotr Witt, Chopin à Paris, une affaire non classée, p. 331)
10. Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome II (Korespondencja Fryderyka Chopina) : lettre du 27 novembre 1831, p. 21
11. Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome II : lettre du 24 février 1832, p. 63
12. Bronisław Edward Sydow : Correspondance de Frédéric Chopin, tome II : lettre non datée, p. 66
13. Piotr Witt: Chopin à Paris, une affaire non classée, p. 199
14. Narodowy Instytut Fryderyka Chopina: 9 March
15. Marie-Paule Rambeau : Chopin, l’Enchanteur autoritaire p. 263
16. Tadeusz A. Zieliński : Frédéric Chopin, p. 347
17. Marie-Paule Rambeau : Chopin, l’Enchanteur autoritaire p. 263
18. Marie-Paule Rambeau : Chopin, l’Enchanteur autoritaire p. 269
📚 Sources : Bibliographie
➡️ Découvrez le tragique début de l’année 1832 en cliquant sur l'épisode suivant: L'épidémie de choléra (📖72)
Note: afin de faciliter la recherche, en raison des contraintes de clavier, les noms cités sont orthographiés ici sans signe diacritique ni déclinaison : Bronislaw, Zielinski, Fryderyk, Orlowski, Kobylanska
Biographie #71
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